Médias sociaux : comprendre le concept de communauté pour s’adresser aux communautés
« La force par la discipline, la force par la communauté, la force par l’action. » (*) Qu’elle soit groupuscule armé ou baba cool, il ressort qu’une communauté tient par la puissance de l’idée qui la cimente et la guide, la pire ou la meilleure. Un détour par l’histoire nous éclaire sur le sens de la notion et la portée des communautés aujourd’hui sur la toile et dans la petite histoire du marketing. #Marquetribale
C’est un mot qui englobe un peu tout et n’importe quoi, un fourre-tout, un mot que tout le monde utilise sans vraiment comprendre ce qu’il signifie. Le terme de « communauté » en France est à la fois péjoratif et porteur d’espoir. Prononcé lors d’émeutes dans des quartiers sensibles ou qualifiant des mouvements religieux, il signifie souvent extrémisme et renfermement sur soi. Tandis que désignant des personnes qui partagent des intérêts communs et décident de se rassembler sur la Toile, notamment, alors leur community évoque une entente cordiale et la paix sociale. Qui sont ces groupes sociaux et comment peut-on communiquer auprès d’eux ? Le terme de communauté en France est à la fois péjoratif et porteur d’espoir.
Des connotations plus qu’une définition
Le Larousse donne cinq entrées pour circonscrire ce mot. Pour résumer, une communauté est un groupe de personnes qui interagissent, partagent et utilisent des informations en relation avec leurs centres d’intérêt, leurs caractéristiques démographiques ou leur activités professionnelles. Ces ensembles se forment autour d’un sentiment d’appartenance ressenti par leurs membres. D’origine allemande, die Gemeinschaft, ce terme est pourtant « souvent employé sans recours à une définition précise », résume Cherry Schrecker, sociologue et enseignante à l’université de Nancy 2. Et pour cause, « répondre à la question “qu’est-ce qu’une communauté ?« , au singulier de surcroît, est sans doute une tâche impossible tant sont multiples les disciplines qui ont fait référence à cette notion et nombreuses les définitions et surtout les connotations qui lui ont été associées », reconnaît dans un article publié dans Vie Sociale Claude Jacquier, directeur de recherche au CNRS, qui précise qu’en politique et en diplomatie, on use de l’expression « communauté internationale », ce qui sonne comme un oxymore.
En France, cette notion de communauté désigne des entités politiques qui sont de quasi collectivités territoriales : « communauté de communes », « communauté d’agglomérations », « communauté urbaine ». L’Union européenne s’appelait auparavant « Communauté européenne » et antérieurement « Communauté européenne du charbon et de l’acier » (CECA). Claude Jacquier rappelle également que Charles de Gaulle avait rebaptisé pendant un temps l’Union française (l’ex-Empire français) du nom de « communauté française ».
Le terme revêt longtemps une connotation négative. En 1791, la loi Le Chapelier cherchait à faire disparaître les corps intermédiaires que l’on appelait alors corporations ou compagnonnages, car accusés d’entraver la mobilité et la dynamique sociales. En 1905, la loi de séparation de l’Église et de l’État souhaitait limiter la notion de communauté à sa dimension religieuse. Philippe Pétainavait tenté de renverser ce texte en expliquant, dans l’article 1 des Principes de la Communauté, que les droits fondamentaux de l’homme étaient uniquement « garantis par les communautés qui l’entourent : la famille qui l’élève, la profession qui le nourrit, la nation qui le protège ». Difficile alors de défendre une notion lorsqu’on la résume par la devise : « Travail, Famille, Patrie »… Plus récemment, ce terme a souvent été utilisé pour désigner des groupements religieux et/ou extrémistes. Le développement d’Internet a toutefois changé cette donne, avec l’apparition des communautés virtuelles.
Internet, carrefour de toutes les communautés
La Toile s’est développée dès l’origine sur le communautarisme, rappelle, dans une étude, Pierre-Jean Benghozi, un chercheur du CNRS qui enseigne à l’École Polytechnique : « Il s’agissait, au départ, de s’organiser autour de groupes d’échange à base de mails ou de forums. [Il existe aujourd’hui] des structures complexes de production et de développement de logiciels comme Linux, des modes élargis de distribution et de commercialisation de biens, avec eBay ou Amazon.com, des modes renouvelés de rencontres sociales, Meetic, et des pratiques de troc avec les échanges de fichiers musicaux, dont eMule. Le concept de communauté a ainsi fait, ces dernières années, l’objet d’un renouveau d’intérêt dans les travaux portant sur l’économie de l’Internet et, plus généralement, sur la société de la connaissance. Des modèles radicalement nouveaux de production (logiciels libres), d’information (wikis) et de distribution (commerce électronique) centrés autour de la coopération au sein de communautés sont apparus, offrant des alternatives efficientes aux organisations traditionnelles. »
La Toile a ainsi permis de créer des « groupes d’individus qui partagent la même langue ainsi que des modes de vie et des intérêts similaires, souligne Fabien Gaëtan, planneur stratégique au sein de l’agence We Are Social, spécialisée dans les médias sociaux. Ils utilisent les réseaux sociaux comme des plateformes pour partager leurs territoires. » Internet a ainsi aidé des millions de personnes à trouver aux quatre coins du globe des individus avec qui partager leur passion. « Avant, un adolescent qui aimait l’aviation pouvait s’acheter un ou deux magazines spécialisés par mois pour s’informer, ajoute Fabien Gaëtan. Aujourd’hui, ces geeks peuvent se retrouver sur des plateformes, qui attirent aussi bien des ingénieurs que des fans d’aviation. Il existe également de nombreux sous-groupes encore plus ciblés, comme les spotters, qui font des photos au bout des pistes d’atterrissage des aéroports… » Pour communiquer auprès de ces communautés, il est nécessaire de comprendre leurs codes et de les utiliser sans modération. Pour une marque, encore faut-il être « légitime » ; cela peut vite tourner à la mauvaise opération pour celle qui utilise les codes d’une communauté par opportunisme, sans avoir aucun passé auprès de ces groupes.
Un travail de fourmi
« Ces personnes se retrouvent sur les réseaux sociaux autour de mots spécifiques qui leur servent de points de rassemblement, explique Fabien Gaëtan. Lorsqu’une marque vient nous voir avec un problème identifié, notre mission est de bien définir la cible à laquelle elle souhaite s’adresser. Une fois ce travail effectué, nous devons aider notre client à avoir une connaissance plus fine de son audience afin de mieux peaufiner ses messages. Nous utilisons des logiciels gratuits ou payants comme GlobalWebIndex, mais pour bien comprendre une communauté, il est indispensable d’explorer les réseaux sociaux. C’est un travail de fourmi que d’aller surfer sur Internet pour trouver les hashtags les plus utilisés, notamment sur Twitter, Instagram et Facebook, mais ce labeur est nécessaire pour découvrir les individus à qui on veut parler. »
Pour mieux définir leurs cibles, les marques doivent donc analyser les pages des réseaux sociaux, les forums qui permettent aux utilisateurs d’interagir sur un sujet, les blogs qui fédèrent les surfeurs autour d’un thème précis, les jeux virtuels qui réunissent des joueurs du monde entier, les sites wiki de partage du savoir ou les plateformes de social bookmarking, qui servent à distribuer des références sur la Toile. Mais trouver la communauté que l’on vise n’est pas une fin en soi, car il faudra savoir lui parler pour parvenir à avoir un impact sur elle.
Vive le marketing communautaire !
Une méthode efficace est de partager des informations qui peuvent intéresser les consommateurs tout en évitant de les bombarder de messages publicitaires. Encourager les surfeurs à donner leur avis permet également de développer un dialogue avec sa cible. Cette volonté d’identifier des groupes d’affinité dans le but de leur adresser un message spécifique ou de leur faire une offre adaptée a donné naissance au « marketing communautaire », que l’on appelle aussi marketing tribal. Plusieurs entreprises ont montré la voie à suivre dans ce domaine. Harley-Davidson aux États-Unis s’est fait une image de rebelle grâce aux Bikers. La boisson énergisante Red Bull a construit son image autour des étudiants et des passionnés de sports extrêmes. La vodka suédoise Absolut a, elle, pénétré le marché américain en cherchant à devenir une marque culte auprès des gays à New York. « Les communautés changent radicalement la manière dont les clients doivent parler à leur public, conclut Fabien Gaëtan. Elles les forcent à être plus créatifs et à explorer de nouveaux territoires. »